France-Algérie: Résilience et réconciliation en Méditerranée by Boris Cyrulnik & Boualem Sansal

Auteur:Boris Cyrulnik & Boualem Sansal [Cyrulnik, Boris & Sansal, Boualem]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Psychology, Ethnopsychology
Éditeur: Odile Jacob
Publié: 2020-05-26T22:00:00+00:00

La difficile émergence de l’identité :

l’individu et le groupe

BORIS CYRULNIK – Le souffle ne manque pas à ces despotes dont le pouvoir est l’objectif majeur. Plus largement, les mouvements d’opinion qu’ils mettent souvent en place me font penser au flux et au reflux, au jour et à la nuit, à la systole et à la diastole, comme si les sociétés fonctionnaient à la manière d’une respiration : inspirer/expirer. Or, sans manque, le désir pourrait-il exister ?

Quand les sociétés unissent des contrées différentes, on se réjouit de l’union qui agrandit le pays et le rend plus fort. Puis, quand l’unité est réalisée, on regrette les opinions différentes qui faisaient l’originalité de chaque contrée. L’Italie, après avoir fait la guerre d’union, pense maintenant à fragmenter les régions pour retrouver des gestions économiques locales et repersonnaliser chaque région. Actuellement, l’Espagne souffre de ce choix douloureux : l’unité renforce et dépersonnalise alors que l’indépendance des régions personnalise et fragilise.

Pourrait-on faire le même constat avec la mondialisation ? Les performances technologiques rendent possible l’Union européenne, et les États aussitôt se désespèrent de voir leurs caractéristiques disparaître. L’Algérie a dû affronter cette politique ambivalente. La colonisation lui a donné ses frontières, a lutté contre la tendance au tribalisme, a intégré des peuples différents. Mais aujourd’hui on voit resurgir ce fait, peut-être même une identité régionale.

Bourdieu n’était pas philosophe mais, quand ce jeune sociologue a été obligé de faire son service militaire en Algérie durant presque trois années scolaires, il n’a pas pu ignorer la transformation de la société algérienne. Comme beaucoup de conscrits, il a constaté la catastrophe coloniale mais il a remarqué aussi que, sous l’effet de découvertes technologiques, cette société plutôt rurale évoluait vers l’urbanisation comme le fait aujourd’hui la planète entière. Il n’était pas spécialiste de ce problème, mais en tant que citoyen et sociologue il ne pouvait pas ne pas y réfléchir. J’ai la même attitude avec toi, Boualem. Je connais peu l’Algérie mais, en tant que citoyen, j’ai été concerné par la guerre pour son indépendance alors que j’étais lycéen. Mes camarades étaient partisans de l’indépendance et militaient pour aider les Algériens. En médecine, j’ai eu des relations amicales avec des étudiants avant de découvrir qu’ils militaient dans les rangs de l’OAS et s’engageaient physiquement dans ses rangs. À l’hôpital, j’ai soigné du mieux que je pouvais des blessés et des mourants sans savoir lesquels étaient FLN ou MNA. Devenu psychiatre, j’ai soutenu des Maghrébins malheureux parce qu’ils avaient été chassés de chez eux ou parce que leur émigration choisie en avait fait des proies exploitées par l’industrie française. Dans la même journée de consultation, je cherchais à aider des pieds-noirs désespérés d’avoir été obligés de tout abandonner « là-bas », leurs terres, leurs maisons, leurs racines… Comment veux-tu que j’aie des certitudes ?

Pendant les premiers mois de mon service militaire, j’ai été affecté au fort de Vincennes au moment où les « généraux félons » de l’OAS ont été jugés par les tribunaux militaires français. Puis, j’ai été envoyé dans les bataillons disciplinaires à Nantes.

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